dans Représenter la transformation (dir. Stéphane Bonzani, Alain Guez), Paris, éditions de L’Œil d’or, 2019
« … Il existe un rendez-vous tacite entre les générations passées et la nôtre. Nous avons été attendu sur la terre. A nous comme à chaque génération précédente, fut accordée une faible force messianique sur laquelle le passé fait valoir une prétention. Cette prétention, il est juste de ne point la repousser. »
Benjamin, Oeuvres III, P.429 [1]
A l’instar du générique de début du film : Hélas pour moi de Jean-Luc Godard, et en guise d’ouverture de son livre Le feu et le récit [2], le philosophe Giorgio Agamben relate une ancienne légende faisant état de la perte progressive de générations en générations, des lieux et gestes propices à ce que quelque chose advienne : se rendre à une certaine place dans les bois, allumer un feu, dire la formule afin que la tâche à accomplir se réalise. Prenant acte de la perte du souvenir de ces actions au fil du temps, les auteurs postulent que la capacité des hommes à mettre en récits l’histoire « suffit à ce que la tâche puisse s’accomplir ». Ce faisant, ils accordent aux récits, qu’ils soient ici cinématographiques ou littéraires, un potentiel que l’on pourrait qualifier à l’instar de Walter Benjamin de « faible » valeur messianique, potentiel de transformation du temps historique par l’art. Cette temporalité n’est plus celle du temps linéaire de l’histoire : elle se construit entre autres par le montage cinématographique, littéraire, plastique, musical, mais a une incidence sur l’histoire dans la mesure où elle convoque des types de récits singuliers qui réagencent le temps historique en fonction d’une pluralité de situations, de postures qui font surgir une pluralité de lieux.
C’est précisément ce potentiel de transformation porté par les récits que nous questionnerons ici, ces montages de temps dans leur possibilité de faire advenir l’événement comme une manière d’habiter les lieux, d’en révéler la teneur historique, poétique et politique, de la construire.
Les cinétopies, le projet et le concept
Nous aborderons ces questionnements à partir du prisme des cinétopies[3]. Au fur et à mesure de nos recherches, il nous a paru nécessaire de nommer, inventer un mot capable de qualifier ces processus de transformations des lieux par l’art, de trouver une prise qui nous permette de penser de nouvelles formes d’espace-temps où poétique et politique se rejoignent dans ce moment de transformation. Loin d’un instrument relevant uniquement de l’optique et du son, les cinétopies[4] qualifient un certain type de travail de transformation de situations humaines, spatiales et temporelles, en invitant acteurs et spectateurs à se ressaisir poétiquement des lieux à travers ses mises en récits par l’art : le cinéma, la musique, la photographie, la danse etc. Mais quels sont les rapports au temps engagés dans les cinétopies ? Comment se tissent les récits qui transforment les lieux ? Comment ces récits agissent sur les lieux, les transforment ? Comment produisent-ils une brèche dans l’espace et les dispositifs existants ?
Références bibliographiques
Ouvrages
AGAMBEN Giorgio, Le feu et le récit, Payot, 2015
BENJAMIN Walter, Oeuvres III, éd. Gallimard, chap. 12 « Sur le concept d’histoire » coll. Folio Essai, 2000
BENJAMIN Walter, Paris, capitale de XIXe siècle, Cerf, 2006, [1934].
DUMANOIR Thierry, De leurs Cellules, le bleu du ciel, le développement culturel en milieu pénitentiaire, L’atelier, 1994
FOUCAULT Michel, L’archéologie du savoir, Gallimard, 1969
FRIZE Nicolas, Le sens de la peine, Léo Scheer, 2004
GLISSANT Edouard, Traité du Tout monde, Gallimard, 1997
Revues
Revue Lignes N°27, Temps historique, temps messianique, (ss. la dir. SURYA, Michel) COHEN-LEVINAS Danielle, « Temps et contre temps – le messianisme de l’autre » 2008, p.82
Catalogue
FRIZE, Nicolas, Silencieusement, éd. des Musiques de la Boulangère, 2015.
Articles
PHILIPPE Anne, « L’archipel d’Estann ou l’expérience de la traversée », Pensée de l’archipel et lieux de passage », Petra, coll. des îles, 2016.
PHILIPPE Anne, « Introduction à la ciné-architecture de Alain Moreau », octobre 2015, acte des cadre des journées d’études « architecte cinéaste, cinéaste architecte », à paraître.
Articles sur internet
DELLA SAVIA Céline, « Les ateliers de sous-traitance de numérisation des archives sonores au Centre de détention de Poissy (Yvelines) »,
Bulletin de liaison des adhérents de l’AFAS [En ligne], 25 | automne 2003, mis en ligne le 01 octobre 2003, consulté le 15 novembre 2015. URL : http://afas.revues.org/830
« Audition de M. Nicolas FRIZE, responsable de la commission prison de la ligue des droits de l’homme », Réseau Voltaire, 23 mars 2000, www.voltairenet.org/article7992.html
http://www.nicolasfrize.com/?id=24)
[1] BENJAMIN, Walter, Oeuvres III, ed. Gallimard, chap. 12 Sur le concept d’histoire coll. Folio Essai, 2000, p.427-443.
[2] AGANBEM, Giorgio, Le feu et le récit, Editions Payot, 2015, p.7
[3] Ce concept qui puise ses fondements dans le travail de recherche et l’expérience artistique menés par le collectif Estann autour des processus de transformation des lieux par le travail de l’art. Pour plus de détails, voir l’article : PHILIPPE Anne, L’archipel d’Estann ou l’expérience de la traversée, actes du colloque : « Pensée de l’archipel et lieux de passage », Université des Açores, 2014, à paraître Nov. 2015
[4] Les cinétopies pourraient alors être considérées comme des opérateurs de traversées révélant la complexité de la réalité sensible celle propre au milieu, et engageant un processus complexe de déterritorialisation/reterritorialisation à chaque fois singulier, unique. (ndl.)